Présentation

Cyril reguerre, kleptomane du mouvement

par catherine mafaraud-leray

eole et pégase, né du sang de méduse, se sont penchés sur son berceau de celte. Dès cet instant Cyril REGUERRE devint possesseur de presque tous les vents et personnifia dans ses oeuvres la mer, l'onirisme et l'imaginaire. Pour ce peintre l'eau et l'air font l'homme, la femme et les chevaux. Cyril embrasse le vivant, nuées, écume, corps, couples, équidés, rapaces... Il lutte contre la pesanteur, fait danser gestes, postures, hisse les voiles pour force 8 et laisse nos yeux rêver dans le mystère, l'étrange et la surprise, fonctionnant à tâtons, par intuition, avec le calame du calligraphe, ainsi que bambou, eau, encre, charbon qui créent aussi leurs propres magies. Naissent des touches blanches, rouges, des camaïeux de brun, de gris, de bleu, des marbrures, des taches de lumière, des flaques, des coulures, des effacements, des empreintes organiques de terre brûlée et de lichens, des lignes figuratives sur fond d'abstraction. " La ligne est le charpentier de toute forme " qui laisse interprétation et envoûtement agir. Epaisseurs et traits parlent.
Solitaire et silencieux par excellence, il avance, mêlant création et hasard. Tel l'Ermite de l'Arcane VIIII, il va avec son bâton et sa lumière interne, il cherche comme en gestation, dépouillant, réduisant jusqu'à l'essence. " Bel artisan plus que penseur ou intellectuel ". C'est pour lui que chante Barbara : " Comment voudriez-vous qu'un enfant laboureur, si on lui prend sa terre, fasse pousser ses fleurs... ".
Ses peintures sont davantage influencées par l'eau naissante, originelle, première et féminine que par l'eau céleste, ouranienne, masculine, difficile à maîtriser. Il rejoint alors un certain territoire poétique : " Les poètes seuls devraient s'occuper des liquides. ". Ses corps sortent de l'eau - materia prima - jaillissant de lumière, tout de suite projetés dans la vitalité du mouvement, ils s'échappent entourés de taches abstraites sang-de-boeuf, noires, brou de noix... Ce peintre nous ouvre les portes des trois éléments - seul le feu demeure en retrait. Il part de l'eau bénéfique où les corps se constituent, se forment, se forgent, s'anthropomorphent. " L'oeuf du monde est couvé à la surface des eaux ", elles le manifestent, le transcendent. L'air, le vent, les ondes de l'océan font surgir un univers androgyne, asexué, aux visages-contours tels découpages de papier qui captent le regard, véritables textes picturaux. Chez Cyril REGUERRE, il y a une réelle volonté de ne pas dire complètement le corps humain. Il s'agit d'un monde d'envolées-Samothrace, de grâces presque antiques, d'enlacements aux courbes romantiques. L'essentiel est ailleurs que dans la silhouette, ce qui compte : la " ner-vosité " des corps, des muscles, les os. L'omoplate se dresse vers le ciel, les épaules nagent dans la matière, le dos et la poitrine rythment la toile et les cuisses donnent l'énergie du support.
Dans la majorité de ses tableaux et dessins, le cheval, animal mythique par excellence, apparaît comme force première, seul être complet. Il est coursier d'aube, fait rayonner la clarté du matin, irradie la toile par sa fougue vitale et positive, imprime sa cadence à l'oeuvre.
Cet artiste, Sagittaire de naissance, vient de l'endroit où la Voie Lactée est la plus dense. Sa flèche traverse l'espace-temps, renforce la communion des énergies de l'instant autant que celles de la réalité. Valeurs actives du départ de la course, de la montée du mouvement qui pénètrent la transparence jusqu'à une symphonie aux jets de cathédrales. Ce peintre et ses traits de lente et vive lumière allument l'espace clos, le fécondent, le réveillent, conquête sur le néant, mouillée d'imaginaire et de lyrisme. Bellérophon, Cyril REGUERRE, tes chevaux de crin blanc, noir parfois, flottent entre mer et ciel, ainsi que tous les enfants de Pégase qui portent des sirènes. Emportés et troublants, ils gardent cependant l'oeil indomptable et si humain du cerf, tapent sur la création des galops de torrents, des ruades liquides comme licornes d'antan. Vous palefrois, nés du sang de gorge, vous faites surgir les sources, d'amphibie vous ébranlez la terre et ouvrez les fontaines, forts et ailés, vous libérez les vents, nagez dans les airs et la pluie vient à vous et la pluie vous caresse. Pur-sang, vous étreignez l'au-delà, l'océan si profond et ses palais deviennent clair miroir de la vie qui s'avance. Avec force et douceur, des muscles, du coeur, vous explosez le temps d'une liberté-mustang, dans des Kurosawa de musique en clarté, vous encrez vos sabots dans un monde qui chante. Oui la terre est parée, l'univers se fait d'élans en conscience, découvrant des sommets, au noroît s'envolant.
Ce créateur ne s'affuble pas d'élitisme, il recherche avant tout l'esthétisme à l'aide d'un discours figuratif et humain où secret et interprétation ont cependant un grand rôle à jouer. Il revendique un langage populaire où chacun peut orpailler à sa guise ses sensations, subtilement ou à fleur de peau, un art qui touche le français, l'américain ou le petit indien des Andes découvrant la peinture pour la première fois. Il se désire colporteur, voyageur de tropiques, aux empreintes lisibles par-delà les frontières, compréhensibles pour toute culture, étape de la vie, un conquistador du mouvement et de la mise au monde, un trait d'union géographique, arc des continents, bandé entre ciel et houle hauturière.
" ...Dans cette mer jamais étale
D'où l'on remonte peu à peu
Cette mémoire des étoiles. "