PrésentationInvité au Centre Pompidou, François Morellet a préféré montrer un aspect particulier de son art : les installations. Il s'agit pour lui d'oeuvres éphémères, réalisées dans ses expositions personnelles ou dans les manifestations auxquelles il participe. Elles sont conçues pour un endroit précis et exécutées sur place, avec des moyens légers. Destinées à disparaître ou à être démontées à l'issue de la manifestation, elles sont très peu ou pas connues, sauf à avoir été vues à chaque occasion, comme lors de la Nuit blanche à Paris, en 2005, pour quelques heures à la tombée de la nuit sur les quais de la Seine. L'exposition qui rassemble et réinstalle vingt-six d'entre elles au Centre Pompidou est une proposition tout à fait inédite. François Morellet a réalisé un grand nombre d'installations depuis le début des années 1960 au sein des activités d'une association d'artistes, le Groupe de recherche d'art visuel (GRAV), puis seul, dans toutes les circonstances et sur les supports les plus variés, à l'intérieur, à l'extérieur, au sol, sur les murs, dans les arbres, dans toutes sortes de lieux – la synagogue de Delme, l'église Sainte-Irène d'Istanbul, le col de la Furka, le musée de Dijon, le parc du château de Münster –, avec les moyens les plus variés – du ruban adhésif, des tubes de néon, des morceaux de bois, des tas de sel, des plaques de métal. Ces installations sont souvent directement issues de son oeuvre de peintre, dont elles constituent une extension dans une autre dimension et avec un autre but, celui d'occuper l'espace, d'être en rapport avec un lieu : ainsi la superposition de parallèles sur la façade de la galerie Denise René, à Paris, en 1971, est-elle directement issue des réseaux de lignes utilisées par l'artiste dans ses tableaux faits de grilles comme celui du Centre Pompidou, Quatre doubles trames traits minces 0° 22°5 45° 67°5, qui date de 1958. Les oeuvres qu'il met en place dans l'architecture, dans le cadre d'une commande, et qui, intégrées à un édifice, sont destinées à demeurer résultent de la même démarche. Le dernier ouvrage, le plus remarquable, est celui des fenêtres de l'escalier Lefuel au musée du Louvre. Pour " Réinstallations ", un choix de ces oeuvres a été effectué avec François Morellet qui retrace cette histoire dans une rétrospective, de 1963 jusqu'à aujourd'hui : elle met l'accent sur la diversité des installations, qu'elle réinterprète le cas échéant ou dont elle reconstitue et adapte les espaces qui les avaient accueillies ou les supports sur lesquels elles ont été opérées. On découvrira donc successivement certaines de ses réalisations pleines de surprise pour les " labyrinthes " du GRAV, des environnements faits de tubes de néon clignotants, parfois d'une grande agressivité visuelle, des décors sur les murs donnés par des bandes adhésives disposées selon un certain ordre, une pièce occupée par des tubes métalliques, allant du plafond aux murs et au sol, dans laquelle il est difficile de se déplacer, des espaces garnis de tubes de néon rouge ou bleu couvrant le sol et montant sur les murs, des poutres ou des branches de bois utilisées dans toutes sortes de positions, des tableaux entièrement blancs disposés sur le mur donnant l'impression d'un grand désordre et dont il faudra découvrir le principe, des arabesques faites d'arcs de cercle en tubes de néon se déroulant sur les murs ou encore un espace rempli de tubes de néon pendant du plafond, touchant peu à peu le sol et finissant à l'horizontale. Un vrai spectacle, une ambiance de fête.
ALFRED PACQUEMENT – Pourquoi avoir choisi de privilégier les installations? Comment les situez-vous dans votre oeuvre, et pourquoi ce titre " Réinstallations "? FRANÇOIS MORELLET – Cette 455e exposition personnelle aurait pu être l'occasion d'une revue des oeuvres les plus marquantes de ma longue carrière, mais j'ai préféré en faire la toute première rétrospective de ce que je considère comme mes " installations ". Sous ce terme, je range les mises en place éphémères d'éléments légers que j'ai disposés différemment selon l'architecture de chaque lieu d'exposition. Depuis quarante-huit ans, j'ai souvent pris un plus grand plaisir à imaginer et réaliser ces installations plutôt qu'à montrer toujours les mêmes oeuvres anciennes, arrachées cruellement et avec mille soins à d'autres lieux d'exposition. Ces installations ne figurent presque jamais dans les catalogues des expositions dont elles font partie : les délais d'impression étant trop longs pour reproduire des photos in situ, ce qui est le cas aujourd'hui pour le catalogue de cette présentation. Le titre " Réinstallations " est tout à fait pertinent si l'on admet que la qualité la plus spécifique d'une installation, c'est d'être éphémère. Elle se doit donc de mourir pour éventuellement renaître, modifiée par le nouvel espace qu'elle occupe. Ce caractère les différencie des oeuvres et des intégrations. Quand une installation comme celle de mes " néons pleureurs " est achetée, par exemple, par le Centre Pompidou, elle devient alors une oeuvre, et postule à l'immortalité. De leur côté, les intégrations peuvent être considérées comme des installations définitivement et richement installées. Enfin, dans ces " réinstallations " réside une grande contradiction liée au fait qu'elles doivent se plier aux contraintes du lieu. Ici, au Centre, les contraintes brillent par leur absence, une absence de mur et de plafond. Il a donc fallu " construire " des contraintes, des cimaises qui évoquent les différents espaces ayant vu naître chacune des installations réactivées.
AP – Le néon intervient constamment dans votre oeuvre. Comment l'avez-vous découvert et quelles qualités trouvez vous à ce matériau industriel? FM – Dès le début des années 1960, mes amis du Groupe de recherche d'art visuel et moi étions persuadés que le règne de la peinture, des tableaux et des sculptures était fini, condamné à jamais. Nous étions passionnés par les matériau modernes qui n'étaient pas encore trop " pollués " par l'art traditionnel. Nous aimions particulièrement tout ce qui pouvait créer du mouvement ou de la lumière. Depuis 1952 très précisément, je m'intéressais presque exclusivement aux lignes droites. Les tubes de néon me sont apparus comme un matériau idéal. Tout d'abord parce qu'ils sont droits d'origine, avant de se plier aux usages de la publicité. Ensuite parce qu'ils peuvent s'éclairer et s'éteindre brutalement. Et enfin parce que je croyais alors qu'ils n'avaient jamais été utilisés dans le domaine de l'art – comme le pensaient sans doute Martial Raysse et Dan Flavin à la même époque, alors que dans les années 1920 un grand artiste tchèque, Pešanek, s'en servait déjà. Au début, mes néons étaient toujours animés par des programmateurs très simples et je jouais beaucoup avec des rythmes d'allumage/extinction en déphasage.
AP – Comment avez-vous conçu le parcours de l'exposition? Est-il chronologique? Certaines propositions spatiales des années 1960 témoignent d'une volonté de faire participer le spectateur. Était-ce une manière de redéfinir la notion d'oeuvre d'art? FM – Le parcours est plus ou moins chronologique. Les oeuvres des années 1960 faisaient partie de labyrinthes et autres parcours accidentés du GRAV, qui avaient, c'est vrai, comme but principal de faire réagir et participer les spectateurs. Oui, nous étions politisés avec une part de naïveté propre à l'époque. Nous avons été invités plusieurs fois en Allemagne, en Italie et deux fois même aux États-Unis. Nous rejetions l'attitude des artistes individualistes et inspirés et nous nous considérions comme de simples meneurs de jeu. Nous avons eu beaucoup de succès auprès des jeunes et très peu auprès des collectionneurs.
AP – Les titres de vos oeuvres sont parfois figuratifs, parfois mystérieux. Ce sont aussi des jeux de mots. Est-ce une contribution littéraire à votre oeuvre plastique? FM – Mes titres, pendant assez longtemps, énonçaient simplement le système à l'origine de chaque oeuvre. J'aimais montrer que mon travail ne consistait à rien d'autre qu'à inventer et développer des systèmes et j'ajoutais un peu ironiquement que le titre pouvait même permettre aux amateurs peu fortunés de réaliser eux- mêmes leur propre " Morellet ". Par la suite, vers les années 1990, j'ai fini par trouver ces titres lourds, didactiques et ennuyeux. Tout a commencé en 1991 avec une oeuvre de néons qui s'intitulait alors 3 demicercles de néon inclinés à 0°-90°-45°. Cette oeuvre, la première d'une période un peu baroque, pouvait évoquer pour des spectateurs malveillants une danseuse bleue et un peu kitsch. Pour devancer les critiques, mon titre est devenu La Gitane, qui évoquait aussi les cigarettes. Par la suite – et jusqu'à aujourd'hui – j'ai préféré utiliser des titres incongrus qui libèrent mes oeuvres du sérieux qu'on pourrait y voir et que je déteste. Quant aux palindromes qui sont si difficiles à créer, je suis enchanté quand j'en trouve un qui s'applique à une oeuvre, comme " no end neon " ou " senile lines ". Et quant à l'éventuelle contribution littéraire des titres à mes oeuvres : oui, pourquoi pas? Mes titres peuvent même plus facilement porter un message que mes oeuvres... Qui n'en ont pas ! |